jeudi 2 juin 2011

LA VALLÉE DES PLAISIRS (BEYOND THE VALLEY OF THE DOLLS): Entretien avec Lynn Carey / Mama Lion (Décembre 2003)

Collaboratrice majeure de Stu Phillips sur la musique de La Vallée des Plaisirs a.k.a. Beyond The Valley Of The Dolls, Lynn Carey et sa voix rugissante ("Find It!") furent, pendant de nombreuses années, éclipsées de la première BO officielle du film culte de Russ Meyer. Grâce au label anglais Harkit Records, qui a réédité, en 2003, les morceaux originaux, cette injustice est aujourd'hui réparée. Rencontre avec la lionne.


Fred Ambroisine : Vous avez grandi dans un milieu artistique. A quel moment avez-vous prix conscience de votre voix inhabituelle ? et quand avez-vous commencé à écrire et chanter en professionnelle ?

Lynn Carey : J'ai commencé à chanter très tôt. Je chantais seule, mais j'avais aussi un groupe avec mes deux sœurs, Theresa et Lisa. Mes trois frères étaient également branchés musique. Donc ma famille était une sorte de "Von Trapp family" (NDR : en référence à La Mélodie du Bohneur) musicalement parlant. Je n'avais pas réalisé que ma voix était inhabituelle. Je chantais juste parce que j'adorais ça. Durant mon adolescence, j'ai pu me rendre comte de sa puissance, de sa flexibilité. J'étais consciente de mon don. Ma mère et mon père chantaient également, je pense que c'est plus ou moins dans les gènes. Mon travail est devenu professionnel à la fin de mon adolescence, quand j'ai formé le groupe C.K. Strong ". Harold Robbind m'a donné mon premier chèque en tant que " songwriter ". 



Lynn Carey & son père en 1972

Fred Ambroisine : Quelles étaient vos idoles cinématographiques ou musicales ? Ont-elles influencé votre travail en tant qu'actrice et chanteuse ?


Lynn Carey : Mon père a eu une très grande influence sur moi, et initialement, les stars que j'idolâtrais étaient de sa génération : William Holden, Richard Burton, Jimmy Stuart, etc… Avec lui, j'allais voir tous les films étrangers. J'ai donc pu apprécier les performances de beaucoup d'artistes européens tout autant ou même plus que les américains. Au niveau musical, nous avions tous l'habitude d'écouter les comédies musicales de Broadway sur lesquelles nous dansions et chantions en cœur. J'ai adoré West Side Story, Peter Pan, Annie Get Your Gun, et d'autres " hits " de Broadway de cette époque. Après ça, je suis tombée amoureuse du Jazz et du scat d'Ella (NDR : Fitgerald), du blues de Billy Holliday qui ont eu une grande influence sur moi. J'adorais également les musiciens comme Miles Davis et John Coltrane. Mes groupes de rock favoris étaient The Rolling Stones et The Beatles


  Lynn Carey dans les 60's 

Fred Ambroisine : Vous avez débuté dans le " show business " au milieu des années 60 quand vous étiez encore une adolescente, dans des séries come Wild Wild West ou Lassie, et même dans un film Lord Love A Duck. Comment est-ce arrivé et pourquoi avez-vous stoppé votre carrière d'actrice après The Seven Minutes ?
Lynn Carey dans "Lord Love A Duck" (1966)

Lynn Carey : A l'époque j'étudiais à l'American Academy of Dramatic Arts. Un jour, à la maison, Georges Axelrod a vu ma photo sur le piano de mes parents, et à décidé qu'il voulait me faire passer une audition pour Lord Love a Duck. Il m'aimait bien et j'ai eu un second rôle dans ce film, celui de Sally Grace. Après, j'ai eu un agent et j'ai fait la tournée des auditions. Les choses allaient plutôt bien. J'ai fini par avoir un petit rôle dans la série Run For Your Life (NDR : avec Ben Gazzara), mais en général, je trouvais les castings trop éprouvants. Je pensais avoir plus de liberté en écrivant et chantant mes propres chansons dans un groupe à moi. J'écrivais des poèmes depuis ma plus tendre enfance, donc passer à l'écriture de chansons fut une progression naturelle.

Fred Ambroisne : Lorsque vous avez commencé à travailler sur Beyond the Valley of the Dolls, aviez-vous déjà sorti plusieurs albums ? Comment cela a-t-il commencé ?

Lynn Carey : J'ai été contactée via mes managers, Bob Fitzpatrick and Robert Stigwood, qui ont appelé le compositeur/arrangeur/producteur, Stu Phillips, et lui ont passé mon album de C.K. Strong, qui était a l'époque mon unique disque. Stu recherchait une chanteuse à la voix très forte, et il a apprécié ce qu'il a entendu. Il m'a proposé de co-écrire deux chansons avec lui. Travailler avec lui fut fantastique. Les musiciens furent une révélation pour moi. Stu et moi sommes devenus amis depuis. 

Fred Ambroisine : Pouvez-vous me parler du contenu de " Find It " ?

Lynn Carey : Tout d'abord, j'ai lu le scénario de Russ Meyer et je l'ai trouvé d'une violence inouïe ! Lorsque j'ai rencontré Stu Phillips, je n'avais en tête que ces images de mariage en noir et de tête coupée. J'ai essayé de mettre toute cette sensation de meurtres en série, toute cette violence, dans la chanson. Lorsque j'ai dit à mon père que j'étais en train d'écrire deux chansons pour un film contenant des scènes de lesbiennes et des meurtres en série (rires), il m'a regardé avec l'air de dire " Mon Dieu, que vas-tu faire après ? ". " Find It " fut écrit en 10 minutes, d'une traite. Cette chanson représente l'idée que je me faisais du mariage à l'époque, qui représentait la mort. L'idée qui est aussi exprimée dans le film.

Fred Ambroisine : et Once I Had Love est l'opposé de cette chanson …

Lynn Carey : Oui. En fait, cette chanson avait été écrite pour la scène d'amour lesbienne, mais ils l'ont (NDR : la 20th Century Fox) enlevée lorsqu'il ont eu le morceau des Sandpippers. Il n'y avait plus de place pour ma chanson dans le film (NDR : On entend néanmoins une version instrumentale de cette chanson pendant le film). Il l'ont quand même gardée dans le disque de la BO. La création de " Once I Had Love " fut un peu plus longue que celle de " Find It ". L'enregistrement a pris 2 ou 3 jours. 





 
Poster allemand de "Beyond the Valley of the Dolls" (1970)

Fred Ambroisine : Vous aviez décrit un jour Seven Minutes comme étant un "autre film bizarre" de Russ Myer auquel vous avez participé ? Considérez-vous vraiment Russ Meyer comme un réalisateur bizarre ? Et comment l'avez-vous rencontré au fait ?

Lynn Carey : Je plaisantais plus ou moins quand j'ai dit ça. Je ne considère pas vraiment les films de Russ Myer comme " bizarres". Il a créé un genre personnel, c'est sûr. Je l'ai rencontré via Stu Phillips, et il était vraiment charmant.

Fred Ambroisine : Pourquoi la 20th Century Fox a choisi une autre chanteuse pour " Find It " et " Once I Had Love " sur la précédente BO de Beyond the Valley of the Dolls ? Votre voix, a-t-elle été également remplacée dans le film ?

Lynn Carey : Tout d'abord, c'est bien ma voix que vous entendez dans le film sur "Find It ", avec l'aide de Barbara Robeson aux chœurs et 2 " duets ". Par contre, pour la première BO éditée par la Fox, il ont embauché une chanteuse avec une voix ressemblant à la mienne. C'était très dur pour moi. Il y a eu une dispute entre Epic Records et la 20th Century Fox dont je n'avais pas connaissance. Heureusement, Stu a récemment donné les enregistrement originaux à Harkit Records, et c'est finalement comme cela qu'ils ont été distribués. 






L'ancienne et la nouvelle BO de "La Vallée des Plaisirs"
 
Fred Ambroisine : Votre popularité, a-t-elle augmenté après ce film et cette BO?

Lynn Carey : Oui, après BVD, j'ai fait l'album, " Vacuum Cleaner " (1971), et j'ai enchaîné avec une demo, qui ne se retrouve qu'aujourd'hui sur mon CD " Mama Lion Roars Back " sorti cette année. En toute modestie, je trouve qu'il y a de très bonnes choses dessus, notamment une reprise de la chanson de Spencer Davis " Gimme Some Loving ". Lorsqu'à l'époque, le producteur Artie Ripp, l'a entendue, il a adoré. Mais il a décidé de tout recommencer pour produire les choses à sa façon. C'est à cette époque que je suis devenu Mama Lion. Vous savez, les producteurs veulent tous travailler à leur manière. Mais Arti est un chic type. Je lui ai parlé récemment. Il travaille dans le cinéma maintenant.


 Pochettes de "Ivar Avenue Reunion" (1970) & "Vaccuum Cleaner" (1971)

Fred Ambroisine : Parlez-moi de la pochette de "Preserve Wildlife", le premier album de Mama Lion ?

Lynn Carey : Me faire poser avec le lionceau était une idée de Neil Marryweather (le bassiste du groupe). J'avais si peur. Je croyais que j'allais me faire dévorer (rires). Mais le petit n'avait que trois semaines. Il était tout simplement adorable. Il tétait vraiment, mais n'a rien pu obtenir (rires) mais après cette expérience, il est resté dingue des femmes. (rires)
Les deux versions de la pochette de "Preserved Life" (1972)

Fred Ambroisine : Quelles furent les réactions concernant cette pochette ?

Lynn Carey : Un véritable scandale à l'époque. Elle fut censurée dans beaucoup de pays. Dans certains pays, en Suède je crois, ils ont carrément collé la pochette pour cacher la photo (rires). Je n'en revenais pas ! (rires) Dans d'autres, ils cachaient mon visage mais montrait ma poitrine. C'était plutôt … " hot " (rires).

Fred Ambroisine : Parlez-moi de votre dernier album " Mama Lion Roars Back " ?

Lynn Carey : Il contient toujours des influences blues et jazz. Je l'ai fait avec mon second mari et il a beaucoup été influencé par sa culture. Mon second mari était Gitan. Il l'est toujours d'ailleurs (rires). C'est un incroyable pianiste, le meilleur que j'ai entendu.


Fred Ambroisine : Pourquoi est-ce si difficile de trouver vos albums hors des USA ?

Lynn Carey : C'est difficile de les trouver ici également. C'est pourquoi, la majorité des gens doivent passer par moi pour les avoir. Un de mes deux derniers album s'appelle "Gipsy Lovers, car j'écris à propos des choses que je connais. My sœur m'a dit un jour " You have a mini United Nation in your history of men" (rires) .

Fred Ambroisine : Et c'est la vérité ?

Lynn Carey : Bien sûr, j'ai connu un français que j'aimais beaucoup, mon ex-mari est un gitan russe. J'ai été également avec un peintre anglais, un peintre russe (rires), un italien…. Très peu d'américains (rires). J'aime beaucoup l'Europe au niveau du visuel notamment. Ici, à Los Angeles, il y a de la bonne musique, mais ça craint au niveau de l'architecture. J'aime Paris, J'adore même, les lumières, les musées, marcher dans la rue le matin pour respirer l'air frais. Lors de mon dernier séjour à Paris, j'étais avec un ami français dans le 18ème arrondissement. Je devais rencontrer un type d'un label français. Finalement, rien ne s'est fait. J'ai passé le reste de mon temps à visiter et parler avec les gens. J'adore ça. 


Lynn Carey dans les 80's

Fred Ambroisine : Vous avez déjà joué en France ?

Lynn Carey : Oui, notamment à l'Olympia, et aussi sur la Cote d'Azur dans les 70's. J'ai également joué en Allemagne, et aussi en Russie où je me rends régulièrement.

Fred Ambroisine : Dans BVD, la "vieille génération" ne semble pas apprécier le fait que les jeunes aiment le rock'n'roll. Que pensait votre père à ce sujet ?

Lynn Carey : Mes parents me disaient "Quand vas-tu faire de la vraie musique ?" (rires) Après l'affaire de la pochette de Mama Lion et les photos dans Penthouse, mon père était un peu choqué mais il m'a quand même soutenu dans tout ce que j'entreprenais. Il venait pratiquement à tous mes concerts. Il était merveilleux. Il m'a tout appris de la musique et de l'art. Il m'a poussée à apprendre des langues étrangères (français, italien et espagnol). Lorsque j'avais 14 ans, je partais de la maison en douce pour aller au club de jazz. Un jour, mon père m'a surprise alors que je sortais par la fenêtre, perchée en haut d'un arbre. Et il m'a simplement dit " Lynn, je t'y emmène au club de Jazz ".

Fred Ambroisine : Quels sont vos projets ?

Lynn Carey : Vendre mon album "latin jazz" et finir mon album rock. Je travaille sur quelques chansons en ce moments. Des ballades en majorité. Mon ami Ace Farren Ford travaille avec moi dessus. Il est très connu au Japon et dans le milieu underground. 


Lynn Carey dans les 80's

Fred Ambroisine : Que pensez-vous du revival 60's et 70's au niveau musical et de la mode ?

Lynn Carey : C'est fabuleux. Ça me donne l'occasion de ressortir mes costumes d'époques (rires). Au niveau musical, c'est intéressant, uniquement s'il s'agit de nouvelles expériences sonores rendant hommage à cette époque.

Fred Ambroisine : Quels sont vos réalisateurs ou films favoris du moment ?

Lynn Carey : J'aime bien David Lynch. Sinon, je regarde souvent "Sundance Channel", la chaîne des films indépendants. J'ai toujours aimé les films étrangers. J'ai également lu tous les auteurs français existentialistes (rires). J'espère que je pourrai revenir à Paris… au fait, je vais peut-être participer à un festival de blues en Italie, mais rien n'est sûr. Ça peut arriver très prochainement, cette année ou être repoussé jusqu'à l'année prochaine. C'est organisé par un surfeur italien qui a un petit label, Roberto Ruggieri. 


Cynthia Myers, Siouxzan Perry & Lynn Carey (2003)

Fred Ambroisine : Comment s'est passé la projection de Beyond The Valley Of The Dolls au " Nuart Theatre "?

Lynn Carey : Cette projection fut un merveilleux succès. C'était la seconde fois que je le voyais en salle. La copie était vraiment très belle, ce fut une sorte de révélation parce que j'ai pu voir beaucoup de choses que je n'avais pas remarqué auparavant. Les gens chantaient en chœur la majorité des chansons et connaissaient pas mal de dialogues par cœur. C'était aussi excellent de pouvoir rencontrer "Z-Man" après tant d'années. Tout le monde a adoré. Nous avons eu des questions-réponses après la projection. J'ai signé des CD et des photos, posé pour des photos avec les fans. Russ a fait un boulot fantastique et la musique de Stu était comme toujours, incroyable. 


Lynn Carey & Stu Phillips (2003)

Fred Ambroisine : Merci beaucoup et bonne nuit (NDR : 23h30 à LA = 8h30 à Paris)

Lynn Carey : Merci à vous. J'espère que vous vous amuserez bien à L'Etrange Festival. J'aurais aimé pouvoir être là. Prévenez-moi à l'avance la prochaine fois. Et je m'envole pour Paris aussitôt.

Interview réalisée en août 2003 par Frédéric Ambroisine. Source photos: Lynn Carey & http://www.theneilmerryweather.com

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